Les aurores boréales naissent sous les pierres
Les aurores boréales naissent sous les pierres, Édition du Loup de Gouttière, Québec, 2003, 53 p. Une voix, dépouillée des liens qui ont pu la retenir à la société – "j’ai jeté mon nom", dit-elle –, se remet au monde par l’acte d’écriture : "il me fallait m’écrire pour me donner vie". C’est ainsi que commence une plongée jusqu’aux origines, depuis la naissance jusqu’à l’épreuve de "la maladresse d’exister". La folie n’est jamais loin dans ces profondeurs où "la nuit ouvrait ses veines" et où "je croissais sous les pommes/violée par le vent". Mais arrive le moment où l’action devient nécessaire, où la voix doit "allum[er] les feux fous à fendre le bois". L’immersion continue, mais même au fond des mers l’espoir demeure qu’un "éveil vien[ne] rompre l’attente/nettoyer les corps et ratisser les souffles". Un retournement, en effet, s’opère. La vie revient dans une seconde naissance, mettant un terme à l’initiation et inaugurant une conscience renouvelée du monde, car "aujourd’hui je vis au large du large". Suit l’euphorie des sensations accompagnée d’un sentiment d’élargissement de l’être quand "une galaxie s’ouvre au creux de ma poitrine". Et bientôt l’autre, le compagnon de désir, appelé par ce surgissement de vie, s’éveille et "[s’]ouvre[…] comme un lac à la fenêtre". "Tu me comprends jusqu’au pardon de l’écume/rassemblant nos corps dans la soif", dit la voix avec une confiance nouvelle, "regard[ant] l’horizon s’ouvrir au creux de [s]a main".
autrefois il neigeait sur les rues
j’habitais le cœur des vautours
et la dureté de l'hiver sous la peau
la glace au fond des yeux
les baisers frôlant les lèvres
lorsque la folie venait
nous montions au mat de misaine
pour regarder le sillage mouillé du tonnerre
***
te souviens-tu des enfants du large
des méduses naufragées au bord du monde
je laissais les pétales mugir cette nuit-là
tu avais les yeux marins
l'eau n'en finissait plus de nous boire
***
il y avait un œil au centre du feu
ne brûlant jamais
les jours battaient les replis du monde
la lumière déroulait les champs de brume
la maison comme une rivière
filait entre les arbres
les saisons pendaient aux cheminées
des forêts d’angoisse se nouaient
il y avait les temps nus
où la joie était trop lourde à porter
la vie prenait la couleur des miroirs
et les chapeaux se remplissaient de cailloux
***
il m’aurait fallu briser la vitre
qui me séparait du monde
m’approcher du vide
et attacher les nuages aux clochers
j'avais une mouette au cœur
la maladresse d’exister
si seulement j'avais eu un nom
***
j’ai plongé au creux des ventres
pour en retirer la pulpe
retournant la parole vers son cri
il y avait les feuilles vertes au bout de mes doigts
la sève noircissant mes yeux
un refrain lancé comme une pomme
j’ai allumé les feux fous à fendre le bois
le jour passant sur mes gestes de noyée
***
l’espoir venait comme une fumée
envahir les yeux
le sang coulait sous les manteaux
la vie s'échappait d'entre les mots
il aurait fallu défaire les noeuds du vent
neigeant dans ma mémoire
rien n'arrêterait la mort
***
qui m’avait donc promis la joie des fruits lourds
***
je suis entrée dans les maisons sans fenêtres
où le feu noie les hommes
la mémoire déployant ses tentacules
le sable se frayant un chemin sous la peau
nul ne s’en sort vivant
m’abolirais-je à l’autre bout des saisons
***
les nœuds des orages m’ont happée
au bord du vertige
ont livré ma soif à l'océan
***
aujourd’hui je vis au large du large
la mer ne se taisant jamais
les soleils bleuissent
une bouée se noie
dans le sillage de chaque amour
les filets déchirent les arêtes des rochers
je viens comme une marée remplir les étangs
et les silences reviennent m’habiter
les îles s’évadent au loin
tournesols marins aux odeurs de sel et de sang
les visages fuient entre mes doigts
je n’en finis plus
de recracher mes entrailles à la mer
***
certains jours la soif roule sur le sol
ma voix se liquéfie
et j’écoute l’écho du vertige
l’arbre se fissure lorsque l’amour devient amer
je lis ton absence dans les nœuds du printemps
puis je pars comme si rien ne devait revenir
comme si l’amour nichait toujours
au creux des ventres
***
j'ai le souffle de la mer
et ses flancs gonflés d'espérance
le vent ouvrant les châteaux
je vis à la verticale
***
la lumière lacère les joues et les lèvres
se fraie un chemin entre les blessures
la folie se pend à la plus haute branche
bourgeonne au fond des grottes
les syllabes roulent sous ma peau
germent dans les poitrines
et l'aurore creuse son chemin entre les songes
***
le jaune et le rouge battent la mesure du jour
le sommeil s’ouvrant comme un œuf
la forêt hurle au fond du puits
la neige hante les rues
la colère gicle sur les arbres nus
en m’approchant du vent
je vois un début par-delà les orages
***
il a fallu dénouer un à un les fils du temps
recoudre les lèvres et les membres
apaiser les rivières
et étancher la soif des montagnes
***
je comprends la blancheur des hommes
les orifices par où s'écoule la sève
les pores de l'âme agrandies par la peur
les vaisseaux où les mots coagulent
***
le jour s’ouvre comme un cercueil
le cri fusant aux limites du rire et de l’angoisse
les choses naissent
d’un seul mouvement de la main
la nuit vient avec ses autoroutes
mettre la lune en lambeaux
arrivée comme un essaim de corbeaux
pour refermer mes plaies
la girouette à la main
j’avance vers le carnage
je crucifie les étoiles
et allume les feux interdits
***
j’ai la foi des aigles
le sang comme un espoir répandu sur la table
mes mains naviguant au plus profond de tes yeux
je viens à la tombée de la terre
glisser mes doigts sous les algues
je retourne les eaux vers leur source
et féconde l’espérance
tu me comprends jusqu'au pardon de l'écume
rassemblant nos corps dans la soif
tes mains contiennent tous mes visages
***
le vertige se tait
et le soleil emplit mon corps
j’ai un rire à mettre en bouteilles
une luciole au front et l’hiver dans les veines
un ventre de soie où dorment les ombres
une caverne aux bruits souples
accueillant le sang
l’aube au bout de mes doigts
a un goût de menthe
***
il arrive que le matin me surprenne
tu m’appelles
et je regarde l’horizon s’ouvrir au creux de ma main