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2, Éditions Cornac, Québec, 2010, 121 p. Mon second recueil, intitulé simplement 2, s’inscrit dans un cheminement qui part de la poésie pour transiter vers le roman. Hybride entre les deux genres, ce récit-poème raconte l’histoire d’un je qui fait l’expérience d’un voyage intérieur au sein d’un l’espace principal, la maison. Des personnages, entités imaginaires, agissent sur son aventure poétique : l’autre qui l’incite à partir en quête d’elle-même ; un homme aussi immense que le monde et aussi vide que le néant ; le chat qui perche sur l’épaule de l’homme et qui donne au je la juste mesure de sa vie. Elle retrouve l’autre au terme du voyage et ils s’unissent pour construire un monde neuf. Dans ce récit-poème, je combine l’aventure que relate un récit aux possibilités de l’imagerie poétique afin d’exprimer une quête intérieure aux limites de la folie. La liberté d’associer les éléments naturels aux émotions – ou les objets de la maison aux transformations et aux bouleversements intérieurs – permettent en effet de mettre en mots des expériences qui prennent des proportions immenses pour la personne qui les vit, bien qu’elles demeurent presque imperceptibles à l’extérieur. Les images débridées et la trame libre de ce récit-poème livrent une vision originale du monde en faisant partager un désir puissant de vivre envers et contre tout.
— Salut, toi qui nais à chaque révolution de la terre. Je sais ton nom : le cri du vent, et chaque fois l’écho qui s’érige! Tu retournes à ton état premier et tu te confonds avec l’oubli. Mais je suis la mémoire, celle qui met l’invisible en mouvement. Je fais lever l’aube des possibles et je deviens… Toi qui signes les commencements, remets au monde ta pensée, sculpte ta demeure de tes mains! Tu es celui qui renouvelle l’espérance.
[...]
— Tu te dresses et je deviens le lieu de la naissance. Un cri m’arrache à moi-même; je m’accueille à travers toi. Où vas-tu, si ce n’est au plus profond de mon être? Tu marches vers ma parole. Écoute ce cri qui m’enfante et dis-moi si ce n’est pas moi que tu cherches.
[...]
— Je regarde l’homme qui vient vers moi. La peau couvre un torrent d’amertume. Les entrailles s’évadent sous le couteau. Il faut d’abord arracher les yeux pour ouvrir le regard; puis, crever les membranes qui calfeutrent le ventre. Là, les rêves palpitent et les sources naissent. J’appelle le vent qui lave les viscères et je creuse mon chemin au centre des os. Mon souffle râpe la chair, pénètre le sang.
J’efface toute trace des faux départs. Je suis celle qui recommence le monde et voici venu le temps de la naissance.
[...]
— Ton être se fend. Laisse les rivières se vider de ton sang. Tu oublies la maison qui se dressait au centre du monde, la ville qui abritait tes angoisses. Ton nom épelle un repli du monde et tu existes soudain, les poissons naissant de ta substance.
Tu ne sais rien, si ce n’est la difficulté des choses. Tu brames ta faim comme si le monde pouvait t’entendre. Tu balbuties ton visage, tes mains, ton ventre. Tes mots creusent un tunnel vers le centre de ton corps jusqu’à ce que s’ouvre un passage vers la mort. Les ombres emplissent les failles de la terre et envahissent l’espace entre les choses. Tu te tais devant la fragilité de l’homme, comprenant tout à coup la faiblesse de tes membres, la débilité de ton âme.
Et tout recommence. Des formes et des mirages, pêle-mêle au milieu du chaos. Et moi qui te contemple, je ne suis pas un mirage; connaissant la fin et le commencement de toute chose, j’attends que ton regard dépasse ta souffrance. Je te révélerai pourquoi le rire se grave dans les replis de tes plaies, pourquoi l’enfance se noue au creux de ta poitrine, pourquoi ton pas porte avec lourdeur sur le sol. J’attends seulement ton regard pour t’apprendre la jubilation de la matière dans la courbure des choses.
[...]
— Tu trouveras le courage qui couve sous les feuilles. Tu croiras en ta chair, car elle cache un flambeau : elle est le seul arbre dans la forêt du désir. Je suis la femme, celle qui te placera devant toi-même et ne te laissera plus détourner le regard. Tu accepteras la foi que je découvrirai en toi.
Il te faudra des fleuves et des fleuves pour faire face au vent. Tu chercheras parfois le tunnel qui te mènera de l’autre côté des choses, mais tu en reviendras comme si tu ne savais rien d’autre que la plénitude de mon corps. Tu t’uniras à moi dans les reflets de la colère et dans la caverne de ta soif. Toujours, tu choisiras la liberté. Je saurai naître avec toi – car je suis ta naissance.